LECTURE CONTES(suite)
Fillettes…
L’enfant aurait bien voulu suivre cette longue chaîne d’amitié, mais déjà les
branches lui indiquaient une autre direction.

Elles le conduisirent dans une ruelle étroite et mal éclairée. Il n’était guère rassuré. Derrière une fenêtre à barreaux, il aperçut deux fillettes.
— Des enfants en prison ? Bonjour, dit-il timidement, que faites-vous là ?
— Nous sommes prisonnières !
— C’est interdit de mettre des enfants en prison, qu’avez-vous fait de mal ?
— Rien, un monsieur nous a achetées à nos parents.
— Quoi, il vous a achetées ?
— Oui, il a dit qu’il nous donnerait du travail, que nous aurions un toit, de
la nourriture et de l’argent ! Nous sommes très pauvres, nous l’avons cru.
— C’était un menteur, un malhonnête !
— Il nous empêche de sortir en posant des barreaux aux portes et aux fenêtres,
il nous interdit de parler. Nous sommes devenues ses esclaves, chuchota la
fillette.
— Où est ce monsieur, il faut l’arrêter, le juger, où est-il ?
— Dans notre pays, il y en a beaucoup, des messieurs comme lui. On ne peut rien
faire !
— Si, justement, on peut faire quelque chose !

L’enfant révolté se mit à tirer de toutes ses forces sur les barreaux. Il ne
réussit pas à les écarter ! Affolées, les fillettes allèrent se cacher.
L’enfant devait retrouver le vieux chêne au plus vite. Il enfouit ses mains
dans ses poches et froissa vivement une feuille. Immédiatement, l’arbre apparut
; l’enfant s’accrocha à son écorce en criant :
— Sur notre planète, il y a des enfants que l’on bat et des enfants que l’on
achète, c’est honteux, on n’a pas le droit.
Et il se mit à pleurer.
Délicatement, la branche vint sécher les larmes qui glissaient sur ses joues
comme des perles de pluie. Elle le déposa sous un tilleul en fleur.


Mohamed
Il marchait maintenant dans une rue toute blanche,
déserte.
Soudain, quelqu’un l’interpella, derrière un volet :
— Eh, que fais-tu ici ?
L’enfant hésita :
— Je viens rencontrer les enfants de ce pays, mais je ne
sais même pas dans quel
pays je suis arrivé !
— Ici, il y a un désert avec du sable, blond, fluide, qui
coule comme du miel quand on le prend dans sa main ;
avant, j’allais souvent dans ce désert avec mon père.
— Et pourquoi tu n’y vas plus ?
— Parce qu’on ne sort plus de chez nous, on se méfie de
tout, de nos voisins, de nos amis, de nos cousins !

— Et de moi ?
— Oui, de toi aussi ! Avant, je serais sorti dans la rue
pour te parler ; maintenant, je reste enfermé et j’ai peur
de tout : d’une voiture qui démarre, d’un volet qui
claque, des pas sur le trottoir, j’ai peur.
L’enfant se sentit mal à l’aise. Il se souvint de la terrible
peur ressentie sur le chemin
de cailloux :
— De quoi as-tu peur ?
— De la violence !
— Toi, tu n’y es pour rien !
— Bien sûr, mais quand une bombe explose sur un
marché ou près d’une cour d’école, elle blesse et tue
des enfants et des gens qui ne
voulaient rien de tout cela !
Plus tard, si je suis président de la République,
j’empêcherai la violence, la guerre,
pour que tous les enfants aient le droit de vivre en paix !
L’enfant sentit la peur revenir avec ces mots terribles :
violence, guerre ! Autour de lui, aucun arbre pour le
protéger. Il chercha dans sa poche ; il ne lui restait plus
que deux feuilles. Il en prit une et l’éparpilla en
minuscules morceaux.
Aussitôt, une rangée de palmiers superbes borda la
route.
L’enfant commençait à les compter un… deux…, quand
il se retrouva à cheval sur la branche du chêne.
Tout allait vite ! Au-dessous de lui défilaient un continent
et ses pays. La tête lui tournait, il avait vraiment le
vertige !
Petite China
Il se retrouva allongé sous des bambous. Sur un terrain,
des enfants jouaient au football ; assise sur le côté, une
petite fille les observait :
— Tu ne joues pas avec eux ? demanda l’enfant.
— Non !
— Tu t’appelles comment ?
— Petite China ! Le foot, c’est pour les garçons.
— Chez moi, les filles aussi jouent au ballon.
Petite China tortilla sa grande natte :
— Oui, mais ici, les garçons ont le droit de faire plus de
choses que les filles ; ils font de longues études, ils ont
une famille, ils mangent chaque jour du riz, de la viande
ou du poisson !
L’enfant ne comprenait pas :
— Les filles et les garçons ont la même importance, ils
sont égaux !
— Pas ici. Ici, les familles n’ont droit qu’à un seul enfant,
et la plupart préfèrent avoir un garçon, qui, plus tard,
travaillera et pourra aider sa famille à vivre.
— Une fille, c’est pareil !

— Les grandes personnes croient sûrement que les filles
sont plus faibles, plus fragiles ; tu sais, nous, à
l’orphelinat, on est drôlement fortes, on court très vite,
on est championnes au tai-chi, on sait écrire plus de
mille caractères, on sait fabriquer des cerfs-volants
géants !
Pourtant, lorsque dans la rue on croise une
maman et un papa avec leur garçon, on se sent aussi
minuscules qu’un grain de riz, et on se demande
pourquoi on n’a pas eu la chance d’être aimées !
Plus tard, je fonderai une famille, j’aurai deux enfants, un
garçon et une fille, et je leur apprendrai qu’ils ont chacun
le
même droit à l’amour, à la famille, à un avenir !
L’enfant prit la main de Petite China et l’embrassa
tendrement, comme une petite sœur. Leurs deux ombres
égales se mirent à scintiller, inondant de lumière tous
les bambous du pays.

Bryony et Brian
Le son d’un violon lui fit lever la tête. Bryony jouait à
l’archet une douce mélodie. Elle s’arrêta et lui demanda :

— Tu n’as pas rencontré Brian, sur ta route ? Je
l’attends, c’est mon amoureux !
— Tu as de la chance d’avoir un amoureux !
— Oui, mais je ne le vois presque jamais
.
— Ah bon, il habite loin ?
— Non, en face de chez moi, mais on nous interdit de
nous voir, parce que je suis catholique et lui protestant.
— Et alors, cela n’a rien à voir avec l’amour !
— À la maison, si je veux faire un signe à Brian, il ne faut
pas que mes parents le sachent. Ça les rend furieux. Ils
disent que les bombes et la violence, c’est à cause des
protestants. Moi, j’aime Brian tel qu’il est, avec ses
dents écartées, ses cheveux roux. Sa religion, je m’en
moque !
Bryony soupira et poursuivit :
— Heureusement, tous les deux, nous avons un secret
que les grandes personnes ne connaissent pas ; avec la
musique, nous nous retrouvons quand nous le voulons.
Bryony se remit à jouer. Au loin, une flûte lui répondit.
— Plus tard, nous serons musiciens et nous jouerons
ensemble dans les rues pour montrer que les enfants
ont le droit de s’aimer, même s’ils ne sont pas de la
même religion, de la même race, ou de la même couleur.
Au son de la flûte et du violon, le tilleul se couvrit de
notes de musique et d’instruments de tous les pays du
monde.
L’enfant se laissa bercer par cette musique et, un peu
fatigué par tant de voyages, il s’endormit.

Amadou
La
voix d’Amadou le réveilla.
— Où suis-je ? demanda l’enfant.
— Tu es dans mon pays !
Sous une ébène magnifique, Amadou explorait son
cartable.
— Tu pars à l’école ?
— Une école ? Tu rigoles ! Cela fait des mois que le chef
nous en promet une, elle n’arrive jamais. Les grandes
personnes ont toujours des choses plus importantes à
faire !

— Quoi par exemple ?
— La guerre. Ici, les tribus se battent, détruisent les
forêts, les villages ; après, les gens n’ont pas le temps
de construire une école ! Ce n’est pas important pour
eux ; la plupart des gens de mon village ne savent
même pas écrire ! Tu vois, mon cartable, ce sont les
enfants d’une école d’un autre pays qui me l’ont
envoyé ; dedans, il y a tout ce qu’il faut pour apprendre :
des chiffres, des lettres, des crayons, des gommes…
Moi j’ai envie de savoir, de comprendre !
Amadou était curieux, on aurait dit qu’il allait dévorer les
livres.
— Aujourd’hui, je peux te réciter la conjugaison des
droits au temps présent : j’ai le droit d’aller à l’école, tu
as le droit d’apprendre à lire, il a le droit de savoir
compter… Plus tard, je serai maître d’école, j’irai de
village en village apprendre à lire et à écrire aux enfants
pour qu’ils sachent qu’ils ont tous le droit à une
éducation gratuite, quelle que soit leur tribu, qu’ils
vivent au fond de la brousse ou dans les rues des
grandes villes.

L’ébène magnifique se balança lentement. Des livres
remplis d’histoires et des cahiers impatients de recueillir
les plus beaux secrets tombèrent un à un autour
d’Amadou.
