L’ENFANCE AU TRAVAIL AUX CHANTIERS DE LA SEYNE (années 1930)
Mrs Autran, Valdacci, Botto, Piana et
Mme Giloux
Transcription
à partir d’un document vidéo réalisé par " Les Relais de la
mémoire ".
Loi du 30
juin 1928 : Conditions du travail. ARTICLE PREMIER : Les enfants ne peuvent être employés ni admis dans les établissements visés à l’article ci – dessus avant l’âge de 13 ans révolus.
ARTICLE 2 : Toutefois, les enfants munis du Certificat d’Études Primaires, institué par la loi du 28 mars 1882, peuvent être employés à partir de l’âge de 12 ans.
ARTICLE 6 : La durée du travail effectif des ouvriers ou des employés de l’un ou l’autre sexe et de tout âge, ne peut excéder soit 8h par jour, soit 48h par semaine.
Mme GILOUX : En quelle année vous êtes rentré aux Chantiers ?
Charles BOTTO : En 1933, le 3 octobre 1933.
Mme G.: Vous aviez donc 13 ans ?
C. B. : 13 ans. Il n’y avait pas d’apprentissage. Tu veux rentrer ? On t’embauche : " Chauffeur de clous ". Allez !
Jo VALDACCI : Moi j’ai été surpris parce que je travaillais dans un atelier, il était grand et haut. Et là, j’ai été surpris …Je regrettais l’école Martini. Je vous raconte pas, c’était pas l’école Martini. C’est vrai… c’est vrai. Et le soir, je me languissais, il me tardait de sortir pour aller voir mes copains. Pour être surpris, j’ai été surpris, parce que dans les ateliers, il y a rien de gai… Ca refroidit…ça refroidit… Et puis alors tu connais personne. Tu connais pas… les gens. Peut-être j’exagère, mais quand je suis entré travailler…. C’était presque une punition pour moi. J’ai demandé à aller travailler. Mais je croyais pas que le travail était si… si dur !
C’est assez normal certainement quand je suis rentré dans l’atelier…je suis presque certain que je me suis envoyé les mains aux oreilles. On m’a envoyé à bord. Ca a été dur pour moi. J’étais perdu là…
Mme G.:A bord, quel était le type de travaux qui te faisait le plus peur ?
J. V. : C’est la hauteur des bateaux. J’ai travaillé à bord du Montcalm, le premier Montcalm, et c’est quand je montais les escaliers. Parce que j’ai le vertige. J’ai toujours craint le vertige. Après quelques mois, progressivement on m’a exempté de monter à bord. De monter dans les coupelles, c’était mortel pour moi. Et le bruit alors, il m’a rendu sourd le bruit. C’était pas une partie de rigolade… Je regrettais…
Mme G. : Est-ce que vous étiez fatigué ?
J. V. : Oh oui. Oh là, là. J’avais de la peine. Je faisais de la gymnastique à cette époque. Mais j’avais de la peine. J’allais à la gym le lundi, le mercredi et le vendredi. J’avais de la peine à aller m’entraîner. J’étais mordu de la gym, mais j’avais de la peine. J’étais fatigué.
Mme G. : Que faisaient les enfants ?
M. AUTRAN : On les faisait travailler, à quoi ? Ils étaient des manœuvres. Ils arrivaient là, ils ne savaient rien faire. Bien sûr. Ils avaient tout à apprendre. Alors on leur faisait faire des travaux quelquefois pénibles. Parce qu’ils étaient des manœuvres, il fallait transporter des outils, des pièces.
Jean Baptiste PIANA : L’atelier se trouvait à peu près, par rapport à la place de la Lune, dans le milieu de la place de la Lune. Et alors, avec le charreton, on prenait jusque de là jusqu’aux Mouissèques. Le plus jeune se mettait aux bras. Et il y avait des anciens, de la Marine Nationale, beaucoup. Ils venaient finir leur carrière là, pour compléter un peu. Et ces gens, ils étaient costauds ces bonshommes. C’était d’anciens marins. Et nous on était jeunes. Des fois, il arrivait qu’on tombait, on n’arrivait pas à tenir les bras du charreton, tellement c’était chargé de matériel.
M. AUTRAN : Alors ces enfants étaient trimballés d’un bord à l’autre et on ne leur apprenait rien. Sauf qu’on leur disait " regarde comment fait l’ouvrier " Et il y en a qui arrivaient à comprendre quelque chose. On les utilisait aussi quelquefois à ce travail qui consistait à tenir l’abattage. Vous savez, à l’époque, la soudure électrique n’existait pas. Il y avait les rivets. Il fallait faire chauffer les rivets au rouge pour les introduire dans les tôles percées et les écraser de part et d’autre. Parce qu’après, avec le refroidissement du métal, ça assurait une étanchéité presque parfaite. Ils faisaient ça. Ils faisaient chauffer les rivets.
J. B. PIANA : Ils perdaient presque la vue, les chauffeurs de rivets : Toute la journée devant la forge, ils n’avaient pas de lunettes. Alors, la poussière de charbon ! Et il fallait faire vite. Ils étaient à la pièce.
Mme G.: Et en somme vous chauffiez des rivets ?
C. BOTTO : Je chauffais les rivets et le chauffeur les écrasait. Quand il arrivait une bordée, il fallait en mettre 3 à 400 par jour…
Mme G.:Cela doit être dur pour un enfant de 13 ans ?
C. BOTTO : Oh, là, là. M’en parlez pas. Inimaginable ! Quand je suis rentré là-dedans : cet enfer du bruit, l’enfer des hommes… ces pistolets tout ça…Une tête comme ça ! C’était très dur, très dur. Vraiment très dur… Ah, c’était dur vous savez ! C’était vraiment dur !.. Je sais pas, si on pourrait recommencer, si on pourrait trouver des gens pour faire tout ça… Je crois pas… Je crois pas…
M. AUTRAN : Quand vous faites ça pendant
10 h, ils avaient quand même gagné leur journée qui s’élevait à l’époque à pas 20 sous par jour. Mais enfin ils apportaient cet argent à la maison. Alors voilà. Ces enfants restaient jusqu’à 14 ou 15 ans à servir de boys. Et arrivé à cet âge là, je sais que c’est arrivé comme ça à mon père, il y avait des adultes qui disaient : « mais enfant, tu es un enfant intelligent, tu vas pas passer ta vie à faire ça. » Il avait passé son certificat d’études. Le certificat d’études à l’époque c’était un diplôme qui avait beaucoup de valeur. Au début du siècle, des municipalités soucieuses de la jeunesse, avaient institué ce qu’on appelait les cours d’adultes de la Bourse du travail. Des cours gratuits. Mais pour ce qui est des enfants, ils ont souffert beaucoup et ils n’apprenaient pas parce qu’il n’existait pas de cours d’apprentissage. Cela n’existait pas dans les Chantiers..