Les enfants de nulle part
Il était une fois un enfant comme
toi, de ton âge, qui vivait dans une maison, avec sa famille. Il avait des
amis, il allait à l’école, faisait du sport et de la musique. Comme toi, il
était curieux de tout ; il dévorait les livres pour connaître le monde.
Pourtant, cela ne lui suffisait pas. Un jour qu’il se promenait dans la
campagne, il alla s’asseoir au pied d’un arbre. C’était un chêne robuste, vieux
de cent ans, avec des branches aussi accueillantes que des bras ouverts.
L’enfant se sentait bien, et il se mit à parler :
— Si notre planète était aussi petite qu’un village, cela me serait facile
d’aller sur tous les continents ; en quelques pas, je pourrais rencontrer tous
les enfants de la Terre !
À cet instant, les branches du vieux
chêne s’abaissèrent et soulevèrent l’enfant pour l’entraîner dans un tourbillon
étourdissant. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il marchait sur un chemin de cailloux.
Devant lui, pieds nus, sales, enroulés dans des couvertures, un groupe
d’enfants avançait. Les plus grands portaient les plus petits.
— Bonjour, dit l’enfant, où allez-vous ?
— Nous ne savons pas, nous marchons depuis des mois et des semaines ; nous avons fui notre maison, car il y avait la guerre.
— Où est votre famille ? Et votre village, votre pays ? demanda l’enfant.
— Nous n’avons plus rien. Nous n’avons plus que la peur dans nos ventres. Certains d’entre nous ont fui sur un bateau fait de vieilles planches trouées, d’autres ont traversé le désert sans boire ni manger, d’autres se sont cachés dans la forêt en se nourrissant de racines, dormant à même la terre !
— Bonjour, dit l’enfant, où allez-vous ?
— Nous ne savons pas, nous marchons depuis des mois et des semaines ; nous avons fui notre maison, car il y avait la guerre.
— Où est votre famille ? Et votre village, votre pays ? demanda l’enfant.
— Nous n’avons plus rien. Nous n’avons plus que la peur dans nos ventres. Certains d’entre nous ont fui sur un bateau fait de vieilles planches trouées, d’autres ont traversé le désert sans boire ni manger, d’autres se sont cachés dans la forêt en se nourrissant de racines, dormant à même la terre !
L’enfant sentit la peur monter en lui. Une peur terrible qu’il ne connaissait pas. Pas une petite peur, comme celle du noir ou celle de l’orage, mais un affreux cauchemar dont on veut sortir au plus vite. Il voulait retrouver le vieux chêne, revenir chez lui.
Dans sa poche, il sentit une feuille bouger sous ses doigts ; il la pressa entre le pouce et l’index… et se retrouva au pied du vieil arbre :
— C’est horrible ! J’ai vu des enfants qu’on a enlevés à leur père, à leur mère, à leur terre, à leurs rêves ; il faut les aider, ils ont le droit de vivre en paix leur vie d’enfant !
L’enfant se levait pour partir, quand une branche le rattrapa pour lui faire survoler le chemin de cailloux. Deux grands chênes venaient juste d’y pousser, et là, dans de grands hamacs, les enfants de nulle part se reposaient paisiblement. L’enfant fut soulagé. Il ferma les yeux et lui aussi se laissa bercer par les branches. Une douce chaleur lui caressa le visage.
Enfants d’une
île…
Il
ouvrit les yeux : il se trouvait sur une île, au grand soleil. Au loin, des
enfants s’agitaient :
— Bonjour, leur cria-t-il.
Les enfants lui jetèrent à peine un regard et continuèrent, les uns à cirer des
chaussures, les autres à vider des ordures, d’autres encore à laver des
carreaux. Il s’approcha d’eux :
— Vous voulez jouer avec moi ?
À ces mots les enfants s’arrêtèrent de travailler. Le plus grand d’entre eux
fit un pas vers lui :
— Hé, ti-moun, on n’a pas le temps de jouer, on a nos petits boulots !
— Des petits boulots ?
— Toute la journée, on doit travailler ; sinon, le soir, on n’a rien à manger !
— Vous travaillez ? À votre âge ?
— À la maison, on est douze, on n’a pas le choix, on doit aider nos parents.
Alors, tu sais, jouer, on n’a pas le temps !
— Et le soir, vous avez bien un petit moment ?
— Le soir, on est tellement fatigués qu’on ne peut même pas rêver ! Tu vois le
monsieur là-bas, avec ses chaussures poussiéreuses ? Il m’attend ; je vais les
lui faire briller comme des étoiles, et s’il est très content, il me donnera
deux pièces. Cela fera un fruit à pain et quatre patates douces. Allez, au
revoir ti-moun, j’aurais bien voulu jouer avec toi !
L’enfant resta stupéfait : pas le temps de jouer !
Il alla s’asseoir au pied d’un arbre couvert de fleurs rouge et orange, un
arbre pour le rêve, pensa-t-il. Il entendit la voix du plus grand lui murmurer
à l’oreille :
—
Hé ti-moun, quand je serai grand, je ferai une loi qui donnera à tous les
enfants le droit de jouer chaque jour !
Alors du flamboyant glissèrent, comme une pluie de rêves, les jouets les plus
extraordinaires.
Manitra
L’enfant allait prendre un jouet, quand à nouveau les branches de l’arbre le soulevèrent, pour l’emmener ailleurs. Elles le déposèrent dans le quartier pauvre d’une grande ville.
— Ces maisons sont fabriquées avec des cartons. Comment font les gens pour
vivre dedans quand il pleut ?
Une petite fille lui répondit. Elle était vêtue d’une robe sale et trouée, ses
mains étaient noires de poussière de charbon :
— Je suis Manitra ! Quand il pleut, on ajoute des grands plastiques, c’est tout
! boeh boeh
!
— Ça veut dire quoi, boeh,
boeh ?
— Charbon, charbon ! Je ramasse des boulets de charbon, et je crie boeh boeh dans les rues pour les vendre ; avec l’argent, je peux acheter du riz et des haricots !
En parlant, Manitra toussait après chaque phrase, par quintes aiguës :
— Tu es malade ?
— Ici, les enfants qui ramassent le charbon toussent ; c’est la poussière qui irrite nos poumons.
— Mais tu n’as pas de sirop ?
— Il faut de l’argent pour se soigner !
Un bébé courut se blottir contre Manitra ; ses jambes étaient couvertes de plaies.
— C’est mon petit frère.
— Il faut soigner ses jambes !
— Je sais, mais pour cela, aujourd’hui, je dois ramasser et vendre cinquante boulets pour acheter une pommade. C’est très difficile !
L’enfant fouilla au fond de ses poches et fit tomber sur le sol une feuille du chêne. En quelques secondes, un baobab majestueux se dressa, portant des guirlandes de médicaments et de vitamines.
Manitra choisit ce qu’il fallait pour soigner son petit frère.